Ces 27 et 28 juin 2023, nous étions à Roubaix pour participer aux Fashion Green Days. En invité d’honneur de cette édition : l’inclusivité. Cette année encore, nous avons été conquises par la richesse des interventions.
Focus sur le jour 1.
Celleux qui nous connaissent le savent, les Fashion Green Days sont pour nous une vraie source d’inspiration. Cet organisme est une référence en termes d’engagement dans la mode et le textile vers une transition durable. Initiés par le Fashion Green Hub, les Fashion Green Days donnent la parole aux professionnel·le·s de la mode (fabricant·e·s, marques, startups, créateur·rice·s) qui croient en l’avenir d’une mode écologique, éthique et circulaire. Ce fut deux jours très enrichissants où se sont entremêlés débats, talks, rencontres et tables rondes autour du thème « Des Humains et des Modes ».
Nous avons été particulièrement touchées par certaines initiatives qui prônent la mode comme vecteur inclusif, tant par des recherches et innovations technologiques inspirées du textile que par certains témoignages.
Ce compte rendu est non-exhaustif et vise à citer quelques références qui contribuent au riche panel présenté lors de cet évènement.
« L’image de la femme et de l’homme véhiculée par la mode » ou comment poser une réflexion sur les dictats de la mode, l’injonction de la minceur, de la perfection. Comment peut-on encore, en 2023, penser que les mensurations d’un mannequin placé en vitrine soient notre standard ?
Le modèle féminin le plus représenté est une femme blanche, de taille 36 ; le modèle homme est, quant à lui, taillé en V, la taille fine et la carrure large.
Ces modèles sont à la source de souffrances psychologiques, d’anxiété et de stress pour bon nombre d’entre nous, cela ne reflétant pas du tout la majorité ni la diversité des corps.
“91% des femmes de 18-49 ans n’aiment pas leur corps”
“Les modèles en taille 36 blanches et minces amènent de l’anxiété”
– Docteur Aurore Bardey
Les trois intervenantes sont elles-mêmes passées par des chemins personnels parfois lourds. Elles ont puisé leur réflexion dans leur vécu pour interroger le rapport à soi, au vêtement et au corps. Parmi elles, la Docteur Aurore Bardey, psychologue de la mode et chercheuse-enseignante, diplômée du London College of Fashion. À travers ses recherches, elle s’est donnée pour mission de rendre le rapport émotionnel à la mode plus positif. Elle nous confie que son étude a démontré que « porter un vêtement de mode durable apporte des émotions positives ».
Cette première table ronde se termine en soulignant le fait qu’il ne faut pas suivre les tendances pour dire de les suivre, mais plutôt valoriser ce qui est beau chez nous. Reprendre le pouvoir sur son apparence plutôt que de subir les injonctions en réintroduisant de la joie et de la singularité dans notre shopping. Elles mettent également en lumière l’importance d’échanger entre paires, d’oser demander à nos proches quelles sont nos qualités, d’oser parler de notre situation pour dédramatiser. Du point de vue du secteur professionnel, cela renforce l’utilité des métiers connexes à la confection comme le conseil en images, l’étude de la colorimétrie, le shopping personnalisé.
La note positive qui clôture cette table ronde est une invitation à se tourner vers le futur : la « Gen Z » semble ne pas vouloir se laisser faire par les standards, de par son ouverture d’esprit déjà bien démontrée. On peut compter sur elle !
Le thème de la « Santé planétaire » est ensuite posé sur la table. Marie-Monique Robin (journaliste d’investigation, autrice et réalisatrice) s’intéresse particulièrement aux menaces qui pèsent sur la biodiversité et à l’appropriation du vivant par les géants de la biotechnologie et aux conséquences sanitaires de l’emploi de produits controversés, dans l’industrie agro-alimentaire et dans l’agriculture. Elle nous rappelle que, de toute évidence, l’Humain a le premier rôle dans la sauvegarde de la biodiversité.
“Il est trop tard pour être pessimiste”,
– Marie-Monique Robin
Quelques références :
- Le Monde selon Monsanto, La Découverte, Marie-Monique Robin, 2008.
- Le Roundup face à ses juges, La Découverte, Marie-Monique Robin,
- La Fabrique des pandémies : Préserver la biodiversité, un impératif pour la santé planétaire, La Découverte, Marie-Monique Robin,
La table ronde ayant pour titre « Diminuer l’impact des vêtements sur la santé de ceux qui les produisent et de ceux qui les portent : les solutions » nous informe que la chaîne de valeur textile est synonyme d’empoisonnement chimique en continu, exposant les ouvrier·ère·s ainsi que les consommateur·rice·s à près de 8000 produits chimiques différents.
En 2007, la législation REACH a contraint les marques à interdire les substances chimiques dans la fabrication de leurs vêtements. L’opacité de la chaîne de valeur a alors doucement commencé à s’éclaircir, les marques étant alors obligées de connaître davantage les intervenant·e·s ayant un rôle dans leur processus industriel. Jusqu’ici, les fabricant·e·s ne donnaient quasiment aucune information à leurs client·e·s sur leurs partenaires de teintures, de tissage, d’ennoblissement ainsi que sur leurs procédés et globalement, cela convenait aux deux parties. Aujourd’hui, près de 15 ans plus tard, les règlementations se renforcent, des nouvelles lois sont proposées comme l’ESPR ayant comme thématique les exigences d’écoconception. Le REACH est en période de réévaluation et des nouveaux métiers en lien avec la transparence et le contrôle des réglementations émergent.
Pour aller plus loin :
- Livre : Un empoisonnement universel : Comment les produits chimiques ont envahi la planète, Fabrice Nicolino, 2016.
Inspiré par la permaculture, Christophe Lemaire nous expose la « Permaentreprise » : un modèle de développement d’entreprise qui vise à créer de la valeur, en respectant conjointement quatre principes éthiques, inspirés de la permaculture : prendre soin des humains, préserver la planète, se fixer des limites et partager les richesses. Il a fait le choix, en tant que directeur, de mettre en application cette méthodologie au sein de son entreprise Bastien Tissage et il semble convaincu de la valeur ajoutée, pour son équipe et pour l’entreprise, de cette méthode.
On fait également la connaissance d’initiatives qui ont un bel impact, comme le groupe Segard Masurel, qui, notamment, sensibilise sur la bonne manière de tondre les moutons pour en tirer la meilleure laine. Son rôle est de faire le lien entre les éleveur·euse·s et le secteur lainier. Impossible de ne pas penser au réseau lainier wallon et bruxellois qui se fortifie également avec des initiatives comme Laine fleurie, la Chouette laine, le Goupil file, la Filature du hibou, Blackwool, Nathalie Stockman ou encore les Filles s’en mêlent.
Permaentreprise Segard Masurel Laine fleurie Chouette laine le Goupil File la Filature du hibou
En clôture de cette thématique, Ietje Klaver de chez Pyratex nous présente un panel de fibres innovantes régénératives biosourcées et souligne l’importance de l’origine des matériaux que nous portons sur notre corps et l’impact qu’ils peuvent avoir sur nous puisqu’ils sont en contact direct avec notre peau.
La journée se poursuit par la visite de l’atelier Agile qui, par tous ses aspects, porte bien son nom : un espace modulaire aménagé en fonction des demandes reçues des clients.
L’atelier dispose d’une imprimante textile digitale de pointe. L’intégration des patrons dans l’impression permet de réaliser facilement des motifs placés, de produire à la commande et de positionner différents modèles et impressions sur les mêmes largeurs.
Cela permet de rentabiliser la surface textile utilisée et, ainsi, de diminuer considérablement les chutes de tissus. L’atelier dispose également d’une machine de découpe laser imaginée par la startup Tekyn. La découpe se fait au pli à la différence de la méthode traditionnelle qui se fait au matelas, permettant ainsi de répondre aux petites commandes. Cette découpeuse laser fait d’ailleurs l’objet de recherches technologiques. L’entreprise travaille sur un système de détection des tracés noirs, ce qui permettrait à la machine de couper directement les pièces en fonction de sa reconnaissance. Une fois mise au point, une telle machine offrirait non seulement une qualité de précision et un gain de temps considérable, mais elle apporterait également des solutions dans la suppression des points durs, chose essentielle dans le cadre de l’upcycling. Si vous souhaitez produire des petites séries, l’Atelier Agile (avec ses 25 ouvrier·ère·s) est disposé à vous accueillir !
Nous terminons cette première journée avec la visite de l’EPICC : une école de production textile pour des jeunes en décrochage scolaire. Elle offre une formation de deux ans d’immersion en atelier de production et plonge les élèves directement dans le monde du travail et dans le rapport aux client·e·s. L’équipe formatrice assure un accompagnement éducatif ainsi qu’un cadre social : séances individuelles avec un psychologue, cours généraux (sciences, mathématiques…) avec une approche différente de l’école traditionnelle, des débats et ateliers participatifs…
De plus, les élèves sont, à tour de rôle, responsabilisés en endossant le rôle de chef de projet. Ils échangent en direct avec le client, de la rédaction du cahier des charges à la livraison de la commande.
La soirée se clôture au Plateau Fertile par un afterwork où l’on découvre les pitchs de plusieurs porteur·euse·s de projets dont :
- L’adaptelier : service d’adaptation de vêtements à destination des personnes en perte d’autonomie ou en situation de handicap.
- Reutec : conditionnement réutilisable en tissus pour l’envoi et la réception de colis
- Connect-Link : blouse technique avec une structure interne en exosquelette textile, qui aide à protéger les soignant·e·s lors de la manutention des patient·e·s, et ce, sans gêne perceptible à l’usage.
Lire le compte rendu du jour 2
Article rédigé par Marie Cox et Fanny Van hammée,
avec le soutien du Fonds européen de développement régional.